Nelson Navin Photographe
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Isidore et Donnie

3/12/2017

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En m'engageant dans Avenue Street, je n'avais qu'une idée en tête, rentrer chez moi au plus vite pour remettre en lieu sûr les 6000 Rands que j'avais dans la poche arrière de mon pantalon. Pourquoi se balader avec une telle somme alors que l'insécurité en Afrique du Sud est une des caractéristiques du pays ? Christian Pizafy, le directeur de l'Alliance, m'avait expliqué qu'ici, lorsqu'on visite un appartement et que l'on veut le retenir, il faut mettre des billets sur la table. Évidemment, il faut signer un contrat avec le propriétaire, mais cela permet d'éviter que l'appartement ne vous passe sous le nez, parce que quelqu'un d'autre a fait ce qu'il fallait et pas vous. Avant de partir, j'avais demandé à mes collègues ce qu'ils pensaient du quartier où se situait Constitution Street. Valérie m'avait dit de faire attention, car la gare qui était à proximité drainait des zonards peu recommandables. Mais Patricia, qui y avait habité, pensait au contraire que c'était un chouette endroit. Mais ici, tout est affaire de nuances. Constitution fait partie de ces endroits qui porte un seul nom, mais correspond à deux réalités que seule sépare une ligne de démarcation invisible sur une carte. Quartier Blanc / Quartier Noir. Une seule Constitution pour un même peuple, mais en réalité, deux peuples distincts, qui se côtoient sans se mélanger.

J'étais prévenu et je m'attendais au pire. Le seul moyen de trancher l'affaire était d'aller voir par moi-même. En passant cette ligne invisible, je me suis bien rendu compte que ce n'était pas vraiment ce à quoi je m'attendais. J'aurai dû partir plus tôt, au lieu d'attendre la propriétaire qui m'a joué un sale tour en me faisant attendre plus de quarante cinq minutes pour finalement m'annoncer que l'appartement était loué.

En remontant la rue qui longe le Parlement sud-africain, je sentais cette atmosphère étrange qui règne ici, et que j'avais déjà perçu à Durban, lors de mon premier voyage. Les vivants rentrent à toute allure se terrer dans leurs foyers protecteurs, tandis qu'une faune patibulaire se réveille à la tombée du jour. Je marchais à toute allure, comme un skieur slalomant entre les obstacles. Puis, en passant près de ce restaurant très chic, où plusieurs personnes prenaient déjà un verre, et de ces jeunes cadres blancs qui discutaient dans la rue, je sentais que je sortais de la zone de turbulence. Aussi, en m'engageant dans Avenue Street, je savais que je n'étais plus loin de Long Street. Je l'ai d'ailleurs vérifié le lendemain, en refaisant un bout du chemin, avec ma collègue Valériane. Le plus consternant, c'est que j'étais à deux pas du Consulat français.

Après avoir cédé mon portable, j'ai rebroussé chemin, espérant retrouver les jeunes cadres qui discutaient à l'angle de la rue. Mais un individu malfamé venait vers moi, j'ai cru qu'il s'agissait de mon joueur de couteau, j'ai donc tourné les talons. Je me suis approché d'un de ces hommes qui gardent les rues, vêtus d'un de ces gilets jaunes fluorescents, très moches mais qui sauvent des vies sur les routes en pleine nuit. En m'approchant, je vis un visage buriné par les coups de la vie, un regard tout aussi glaçant que celui de mon apprenti tueur. Une hésitation. Puis-je demander de l'aide à cet homme ? En deux mots, je lui explique la situation. "Fucking bastard" jargonne-t-il à l'encontre de mon agresseur. Son accent est à coupé... au couteau ! J'ai cru d'abord qu'il parlait afrikaans. Un autre patrouilleur nous rejoint et nous voilà à la poursuite du chasseur. Tous deux ont des visages de repris de justice, de bagnards à qui la vie n'a rien épargné. Ils savent se battre à mains nues, recevoir des coups et les éviter. Mais ils ont choisi la voie de la rédemption, celle du service, du respect de l'ordre. Eux, ne sont pas des voyous, peut-être l'ont-ils été plus jeunes, mais à présent, leur dévouement est indiscutable. Ils ont choisi d'assurer la sécurité de ceux qui étalent leurs signes extérieurs de richesse, sans mesurer à quel point l'ostentation est le vecteur de la tentation. Sont-ils au service de la Justice ? Assurément, puisqu'ils m'ont protégé en me raccompagnant jusqu'à Long Street. Mais quelle justice servent-ils ? Celle qui pousse à la rue des hommes et des femmes, parfois des enfants, dénués de protection sociale. Combien d'épaves, de vies abîmées, de laissés pour compte croupissent au bord d'une société qui exulte au soleil ?

La pauvreté est une réalité propre à l'espèce humaine. Les animaux n'ont pas besoin d'argent pour vivre heureux. Certes, les prédateurs dans le monde animal sont omniprésents. Mais le besoin de manger chez les animaux ne les poussent pas à jouir de la douleur qu'ils causent en prenant une vie. Bien sûr, cette misère est rependue, depuis toujours, sur la Terre, comme une lèpre souterraine, qui engendre cette violence, que l'on redoute en voulant protéger ce que l'on possède, alors que les autres, la très grande majorité ne possède rien d'autre qu'un désir d'exister, tout aussi légitime. Au fond, notre folie n'est-elle pas d'accepter la folie du monde comme une chose ordinaire ?

Mes anges gardiens m'ont demandé si je pouvais reconnaître l'homme au couteau. Ils m'ont accompagné dans Compagny's gardens. Nous n'y avons vu que des damnés dormant sous des tentes dans le meilleur des cas, et à la belle étoile, lorsque leur infortune était à son comble. Ils voulaient l'attraper, le cogner dur, lui montrer à ce "bastard" que nul ne peut défier impunément l'ordre des riches. Ils voulaient lui faire la leçon, pour le corriger de ces errances, et justifier ainsi leur maigre salaire.

Aux limites de leur territoire, le visage d'Isidore et de Donnie s'est éclairé à la lueur d'un lampadaire, lorsqu'ils m'ont dit leurs prénoms. J'ai vu alors dans leurs yeux, qu'il suffisait de peu de choses pour qu'ils puissent s'enorgueillir d'être apparentés à la communauté humaine.

Chaque jour, et chaque nuit, dans les rues de Cape Town, des hommes poussent leurs chariots de fer, où ils ont entassés pêle-mêle des objets qu'ils tentent de vendre à longueur de journée. Je les entends le matin, je les vois le soir, trainant leurs marchandises dans la pente des rues abruptes, comme s'ils traînaient là leur vie entière. En les regardant, je pense à Sysyphe, et je me dit que c'est en s'inspirant de la pauvreté et de l'absurdité de la condition humaine qu'Albert Camus a dressé le portrait d'un homme heureux.


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La mauvaise rue

3/6/2017

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L'eau de Cape Town n'est rien sans la lumière et sans la terre. Ici, les arbres croissent comme des coups de pinceaux sur une toile de maître, légèrement penchés par la force des vents, démesurément grands, à la mesure du continent.

La lumière s'étale sur la terre et sur les montagnes, comme une couche de peinture jaunâtre, légèrement diluée par le temps. Et le ciel se contente d'entourer la terre et la mer. L'air marin souffle gentiment poussant les oiseaux plus hauts. L'azur de la ligne d'horizon, où se perd la silhouette des montagnes les plus éloignées, me rappelle les couleurs de la Baie des Anges.

J'ai marché de longues heures, à contourner cette table montagne, en suivant les marées où longtemps se sont échoués des navires. Combien d'hommes ont perdu la vie, à cause d'une mauvaise tempête ?

Là où les badauds trainent leurs bedaines, achètent et consomment plus qu'ils n'en ont besoin, des bateleurs animent la foule paresseuse mais bon enfant. Un jeune asiatique, à la souplesse d'un moine shaoline, beau comme une divinité incarnée, marche sur du verre, avale des sabres en plastique et surtout défie les lois de la gravité en jouant avec une boule de verre, puis une autre. Plus loin, un homme automate, que seul son regard espiègle trahi lorsqu'il se moque à sa façon de son public captif.

Aujourd'hui, est un autre jour. Après mes heures de service, d'une journée bien remplie, je suis allé à un rendez-vous, sur Constitution Street. Je devais visiter un appartement. Déconvenue. Quartier sale et triste, inquiétant, même si le sourire de Mandela illumine la façade d'une maisonnette abandonnée. La propriétaire ne vient pas. Elle a du retard. Au moment où je m'en vais, elle arrive. Je visite sa demeure. Insalubre dans une résidence sécurisée. Je m'en vais. Même si ma recherche n'a pas aboutie, au moins, j'ai vu cette autre réalité, celle que l'on aime pas voir d'habitude.

L'ombre de la nuit enveloppe Cape Town et ses alentours. Il ne faut pas que je traine. Le quartier est vraiment pourri. Suivre la direction de Signal Hill, c'est là que se trouve Loop Street. Je décide de couper au plus court. Mais suivre la bonne direction n'indique en rien que l'on atteindra la bonne destination. Je remonte Parlement Street. Impossible de tourner à droite, pour rejoindre Long Street et donc Loop Street, qui est parallèle. Je poursuis. Et lorsque enfin j'aperçois une petite rue, qui étrangement s'appelle "Avenue", tournant dans la bonne direction, je m'y engage pensant être sauvé. Mais cette pensée m'avait déjà condamné, car dès que l'on cède à la peur, les fauves tapis dans jungle urbaine sentent à dix mille lieues la chair épouvantée. Face à moi s'avance un couple. Pas de danger à priori, mais mon intuition me dit d'éviter de passer au milieu de ce couple qui se divise comme un fleuve pour mieux me prendre à son filet. J'esquive en me déportant sur ma droite, mais il est déjà trop tard. J'ai compris que le couple est en chasse et que je suis la proie dans cette avenue qui n'a rien d'une avenue, à part quelques arbres poussifs qui dorment depuis longtemps. Je suis seul, mais lorsqu'on est seul avec soi-même, on est toujours deux. Tout va très vite. Le fauve s'approche de moi, tandis que la lionne est quelque part dans mon dos, il cherche à m'agripper, je m'échappe, il sort son couteau, qu'il ouvre lentement, mais ses yeux sont assoiffé du sang qu'il sent battre en moi et dont il veut se repaître. Tuer, pour lui, ce n'est qu'une vieille habitude, une seconde nature dont le regard glacial est sans équivoque. Il veut m'imposer sa brutalité, parce que la bête sauvage qui est en lui ne connaît plus la douleur, ni la soif, ni la faim. Cela change de ces demandes polies de sans abris, qui vous remercient de les avoir écouté, même quand vous n'avez n'avez rien à leur donner. Mais lui, la bête, il ne demande rien, il s'octroie, il prélève son dû, comme autrefois les bandits de grands chemins demandaient "la bourse ou la vie". Il me demande : est-ce que tu veux mourir ? Ce qu'il ne sait pas, c'est que ma peur n'est pas celle que l'on ressent lorsque l'on est face au frisson du dernier instant. Non, je n'ai pas peur de mourir, même si évidemment, j'ai peur d'avoir mal, d'être là, agonisant, alors que tout commence à peine et que je me sens enfin vivant ici. Non, je n'ai pas peur de la mort. J'ai eu peur de ne pas pouvoir vivre assez longtemps pour finir ce que j'ai à faire. Je refuse de mourir sans mon consentement. Je veux écrire mes livres, voir ces peuples qui tous ensemble tissent notre humanité, je veux rencontrer cette femme qui m'attend quelque part, peut-être lui faire quelques enfants, et aussi, transmettre ma foi en l'humanisme, œuvrer d'une façon ou d'une autre, et à la mesure de mes forces, pour que ce monde soit un peu plus lumineux qu'il ne l'est aujourd'hui.

J'ai de bonnes raisons de vivre. Je l'ai toujours su, et sans doute aujourd'hui plus que jamais. Je n'ai pas le droit de mourir sans avoir achevé ma quête, et donc, sans avoir donné à ma vie, le sens que je lui donne. Je ne veux pas œuvrer pour une quelconque postérité. Je travaille pour moi, je suis l'artisan et le salarié de ma propre vie. Je suis en accord avec ma philosophie, avec mon regard sur le monde.

La pointe de son couteau contre ma vie ? Non merci. Ma vie est plus précieuse qu'une simple intimidation. Puisque j'étais seul avec moi-même, mon moi, m'a dit sagement, que te veux cet imbécile dont tu n'as déjà jouis ? Même s'il te prend ta vie, ta vie a déjà été meilleure que la sienne. Que peut-il vouloir ? Du respect, de l'attention ? Non, pas lui, il est trop mesquin pour cela, trop carnivore. Il lui faut de l'or. Encore et toujours de l'or. Accepte de perdre un peu, et tu sauveras tout le reste, l'essentiel. Je lui ai donné mon téléphone portable. Oui, je le lui ai donné, avant qu'il ne me le prenne. Pour lui, il n'y a pas de différence, puisqu'il a obtenu ce qu'il désirait. Pour moi, cela change tout. Il n'a rien pris que je n'ai voulu librement lui donner. Ma vie contre un téléphone. Oui, le bonheur, c'est simple comme un coup de fil.

Dans la bousculade qui a précédé le don, j'ai senti mes jambes défaillir. J'avais trop marché et soudain, mes muscles se sont froissés. Tant pis. Qu'importe cette douleur, j'ai sauvé ma peau.

N'être si peu de chose avant de naître, et n'être plus rien, après la vie, voilà donc le secret des Hommes.
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Still Water

3/3/2017

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Pourquoi aimons-nous ce que nous aimons ?

J'aime l'Afrique du Sud et cela depuis ma première visite en 1998. Plus tard, je vous raconterai peut-être ce voyage.  Tout change si vite dans la vie : tous ceux qui vivent à nos côtés prennent des rides et deviennent différents par lassitude, les paysages que nous traversons tous les jours se transforment à notre insu, les pays que nous avons sillonné se sont métamorphosés et notre mémoire, elle aussi, nous joue des tours. Et puis, surtout, nous aussi nous changeons. Nous vieillissons autant que ceux que nous voyons prendre de l'âge, en oubliant que le temps s'acharne aussi à nous rendre différents de ce que nous fûmes lorsque dans la fleur de l'âge, nous étions jeunes et beaux, promis à l'insouciante éternité des gens heureux.

Alors, comment aimer ce que nous aimons, puisque ce que nous aimons n'est plus fidèle depuis longtemps à l'image que nous en avions ? Tout s’effiloche sans que nous n'ayons le plus souvent conscience du changement. L'illusion rassurante de la continuité est un tranquillisant pour les âmes sensibles.

Cette Afrique du Sud que je retrouve aujourd'hui ne peut plus être celle que j'ai connue, puisqu'elle a changé, et que moi aussi, j'ai changé. Je le sais, et je ne m'en désole pas. Et pourtant, s'il y a bien une seule chose qui ne peut me tromper, c'est que le goût de l'eau ici, est toujours le même.

Des millions d'années sont nécessaires à ce que le cycle s'achève et recommence sans cesse. Des montagnes à la mer, de la mer aux nuages, des nuages aux montages. Ce sont toujours les mêmes molécules qui s'assemblent et se reforment dans une variation infinie de combinaisons.

Ici, à Cape Town, le niveau d'alerte sur le manque d'eau est au niveau 3, sur les 5 que comporte cette échelle préventive. Sur les murs des salles de bains, on peut lire les consignes : "buvez plus de bières et moins d'eau". Moi, je n'aime pas la bière. La permanence de la permanence aujourd'hui n'est plus une garantie d'avenir. Ce qui a toujours été ne sera sans doute plus.

Et pourtant, je persiste à dire qu'il y a une chose qui n'a pas changé dans mon histoire d'amour avec l'Afrique du Sud. Cette chose, c'est le goût de l'eau, le goût limpide et pur de l'eau minérale.
Elle n'a aucun arrière-goût. Dès la première gorgée, elle vous paraît si familière que vous savez au fond de votre âme qu'elle ne vous a pas trahit. Vos artères n'ont certes plus la même vigueur, mais l'eau est toujours aussi bonne, aussi désaltérante, aussi douce et poétique, qu'il faut absolument l'embrasser, pour la remercier de ne pas s'être travestie en se mélangeant à d'affreux colorants.

L'eau pure et cristalline du Cap vaut mieux que tout les cépages du monde, parce qu'elle seule a gardé ce goût de l'aube primitive. Et Dieu sait que le vin est délicieux ici !
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J-1

2/25/2017

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La nuit va être courte pour moi. Demain, aux aurores, je m'en vais construire une nouvelle vie.
Cape Town, un nouveau cap à franchir !
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